Start to Melt {Melloy}

Un an qu'elle était à l'université et notre chère Giulia Gattina n'avait pas encore eu l'occasion de voir la routine s'installer. Le temps passait et pourtant, la jeune femme n'avait toujours pas trouvé le moyen de se canaliser. A quoi bon de toute manière, elle avait son caractère et rien ne pourrait le changer. Que ce soit sa première année à Cambridge, ses désastreuses aventures avec Stewarts, son entrée chez les Amaryllis, ou même sa récente liaison avec Melloy.
Quoi que, ce dernier point était à vérifier. Elle qui avait toujours été indifférente à l'égard de tous, elle devait avouer que Melloy l'avait rendu toute chose depuis l'été dernier. Il faut dire que malgré les apparences, même si elle lui tournait autour depuis bien longtemps, l'italienne n'avait jamais cru possible une vraie histoire entre eux, ils étaient cousins éloignés bon sang. Et pourtant, il n'avait fallu qu'un séjour en Australie et une conversation les yeux dans les yeux pour que sa vie sentimentale inexistante se voit réduite à néant.
Eh oui, difficile de penser que Mademoiselle Gattina, la Reine du Saute-Moutons, avait mis fin à toutes ses coucheries d'antan. Raisonnable, peut-être. Il faut dire que Melloy, jeune homme en rut, savait la combler au niveau charnel. Passons, arrêtons d'être médisants sur cette pauvre Giulia qui semble avoir tout pour elle actuellement.

Voilà quelques semaines que les cours avaient repris, quelques semaines que l'italienne rusait pour trouver la motivation d'assister à ses heures de français. Elle ne savait même pas ce qu'il lui était passé par la tête quand elle avait rempli son dossier d'inscription, à tous les coups, elle était sous les effets d'une quelconque substance illicite. D'ailleurs, ce terrible vice que représentait la drogue avait pris l'habitude de côtoyer de plus en plus Giulia. A force de fréquenter des junkies nouvellement teintes en brune, il fallait bien qu'une dépendance se fasse ressentir.

Il était plus de vingt heures à présent, et d'après ses souvenirs, la jeune femme avait rendez-vous dans un bar miteux avec Melloy, pour quoi faire ? Aucune idée, mais ils n'étaient jamais victimes du terrible ennemi qu'est l'ennui.

Ainsi, Giulia se retrouva le nez dehors, emmitouflé dans une veste si légère qu'elle ne la protégeait en aucun cas du vent soufflant sur la ville. Les inconvénients de vivre en Angleterre, au moins en Californie, le soucis du temps ne se posait pratiquement jamais. La jeune femme grommelait intérieurement, encore interloquée devant la raison qui l'avait poussé à faire ses études à Cambridge et non à l'Université de New York ou à Los Angeles.

D'un geste brusque, elle poussa la porte vieille et délabrée du Little Cricket. Elle s'arrêta sur le pas de l'entrée, prenant soin de claquer ladite porte. Ce qui eut pour effet d'attirer une dizaine de paires d'yeux vers elle. Impassible devant cette scène, Giulia remit correctement ses vêtements et secoua légèrement la tête afin de remettre ses cheveux en place.

En une fraction de seconde, elle aperçut Melloy, installé à l'autre bout du bar et occupé avec un journal défraichi. Oui, cette atmosphère rustique faisait le charme du bar. Enfin charme... Si on considère que le Little Cricket a un semblant de charme, bien entendu. D'un pas léger, elle foula le parquet et se retrouva bientôt aux côtés de Melloy. Il ne semblait pas encore l'avoir aperçu, de ce fait Giulia se glissa sur la même banquette sur le jeune homme et planta un baiser sur sa joue, toute souriante.

Un peu de pitié, l'italienne n'était pas habituée à de telles démonstrations d'affection, et pourtant..

Melloy jeta un coup d'oeil à sa montre qui était à quelques secondes d'indiquait les vingts heures. L'heure exacte à laquelle il avait rendez-vous avec Giulia, dans ce bar miteux qu'est le Little Cricket. Il ouvrit la porte qui, à l'image de son allure vieille et delabrée, poussa un cri strident en se frottant sur le sol, tout aussi miteux. Un bruit qui ne manqua pas de retourner quelques têtes, avant que celles-ci ne reprennent leurs occupations. La plupart se noyaient dans la bière, qui avait la réputation d'être excellente dans ce bar. D'autres jouaient à toutes sortes de jeux, exlusivement légals dans cette pièce, loin des pratiques moins catholiques qui se déroulaient dans l'arrière salle. A l'heure actuelle, on pouvait d'ailleurs y entendre un groupe de métal crier à gorges déployées. Melloy s'y était déjà rendu à plusieurs reprises, sans pour autant devenir un habitué du coin. Il aimait simplement s'y rendre lorsque l'envie de se plonger dans le vice se faisait ressentir. Ce qui, étrangement, devenait de plus en plus fréquent ces derniers temps.

Le jeune homme s'avança vers une table vide et s'installa sur la banquette, en prenant au passage un journal gratuit mis à la disposition des clients. Il faut dire qu'il fallait le vouloir pour dépenser son argent dans un torchon pareil. Mais c'était toujours mieux que rien... Après avoir parcouru la rubrique sport et avant de se lancer dans celle de la politique, il s'évada un instant dans ses pensées. Il ne savait toujours pas si cette nouvelle relation avec Giulia était une bonne idée, mais il savait que la jeune fille ne le laissait pas indifférent, et qu'il gardait un excellent souvenir de ce séjour en Australie. Malgré ça, il ne pouvait oublier ce détail qui avait tout de même son importance : elle était sa cousine, aussi éloignée soit-elle. Bien sûr, cela ne l'avait pas empêcher de coucher avec à plusieurs reprises, mais entretenir une relation officielle sans se cacher une seule seconde des autres n'avait rien de comparable à une séries d'aventures sans lendemain. Sans oublier ces sentiments contre nature que ressentait Melloy, et qui remontait sans cesse à la surface. Un an qu'ils se tournaient autour, qu'ils se cherchaient, et ce n'est qu'un mois plus tôt qu'ils avaient décidé de se lancer dans cette histoire, aussi incestueuse et folle soit-elle. Après tout, que risquait-il ?

Sa première année à Cambridge avait été mouvementée, ce qui au final était une bonne chose. Il y avait eu cette entrée chez les Xanda Luminaere, alors qu'il ne pensait pas finir dans ce genre de confrérie. Puis cette histoire avec Alexey et Kenzie, qu'il avait provoqué et qu'il ne savait pas encore si il devait regretter ou non.

- Monsieur ?

Un serveur, dans une tenue tout aussi miteuse que le reste du bar, chassa Melloy de ses pensées. Un calpin et un crayon à la main, il fixait le jeune homme avec insistance.

- Votre commande ! Vous voulez quelque chose ?

Flippant. L'homme avait une tête de rockeur en pleine crise de la quarantaine et nostalgique de sa jeunesse. Au moins, il s'accordait parfaitement avec le reste du bar.

- Hm... un cocktail alcoolisé, le meilleur que vous avez.

- Je vous conseillerai notre fameux September ?

- Prenez en deux. Merci.

C'était peut-être idiot de commander sous les conseils d'un mec pareil, mais de l'alcool resté de l'alcool, peu importe avec quoi elle était mélangée. Melloy jeta un nouveau coup d'oeil à sa montre : vingt heure dix. Giulia n'allait sans doute pas tarder à arriver. En attendant, le jeune homme se plongea dans la rubrique politique. Un peu de culture ne pouvait pas lui faire de mal. Et puis... c'était ça ou un mot croisé. Plongé dans sa lecture - qui aurait cru que le monde de la politique pouvait être aussi passionant ? - le jeune homme ne s'aperçut pas que sa petite amie avait franchi le seuil de ce bar, et qu'elle se dirigeait maintenant vers lui pour lui donner un délicat baiser sur la joue. Un baiser qui ne manqua pas d'arracher un sourire à Melloy, qui semblait tenir à sa cousine plus qu'il ne le devrait.

- Tu vas bien, mon coeur ?

Le jeune homme posa son journal sur la table, et observa un instant le serveur qui avait pris sa commande quelques secondes plus tôt.

- Tu sais, j'me demande encore ce qu'on vient faire ici... tout et vieux et miteux, même les serveurs.

Le chanteur du groupe qui jouait derrière se lança dans un couplet qui ne pouvait se traduire que par des "oooh" et des "aaah" criés à pleins poumons. Enfin, si ce n'était pas le couplet, ce pouvait aussi très bien être le refrain.

- On devrait pensé à aller dans des endroits plus... romantique, toi et moi.

Il prit la main de Giulia et l'embrassa, avec pour fond le cri incessant du chanteur qui n'allait pas tarder à s'éclater les cordes vocales ou à faire une asphyxie si il ne se décidait pas à reprendre sa respiration. Après tout, il n'en avait peut-être pas, des poumons.

Difficile pour l'italienne d'enlever ce perpétuel air blasé qu'elle aimait se donner. Pourtant, si elle ne voulait pas paraître comme un iceberg, il fallait qu'elle se donne cette peine. Son séjour en Inde lui avait été bénéfique à ce niveau, une expérience unique qui avait pu lui ouvrir de nouveaux horizons et la remettre en confiance vis à vis de.. du monde peut-être. Même si Giulia était extrêmement sociable, ce n'était pas pour autant qu'elle baisait les pieds de l'humanité toute entière. Elle aimait recevoir mais donner était vraiment hors de sa capacité.

Assise à présent sur la banquette à côté de Melloy, la jeune femme souriait de toutes ses dents. Légère euphorie due à ce qu'elle avait pu boire sur la route jusqu'au bar, vous savez ce genre de fioles monogramés qui contenaient, à l'occasion, un des nombreux alcools blancs sans vraiment être mélangés à un diluant. Qu'on se le dise, Giulia était loin d'être alcoolique.
D'un geste nerveux, l'italienne tapota sur ses gracieuses cuisses avec ses doigts, jetant un coup d'oeil au journal qui venait d'être posé sur la table avant d'observer sereinement son petit ami. A sa question, elle hocha lentement la tête, elle ne voyait pas vraiment quoi répondre, c'était des questions banales, qui s'intéressait réellement à la vie d'untel ou untel, elle allait bien, c'était le principal.

Mmmh-mmmh répondit-elle avec une légère moue en jouant avec une de ses bagues. Et toi alors ? s'enticha-t-elle, non pas pour faire le conversation mais pour ne pas paraître ingrate aux yeux de Melloy, ça serait peut-être malvenu de sa part.

Même les serveurs, c'est vrai s'enthousiasma la jeune femme, fixant ledit serveur quelques secondes, résistant à la tentation de rire à gorge déployée. Elle connaissait assez bien le bar maintenant, le plus proche de l'université où il était facile et aisé de se prendre une cuite monumentale, ou bien de s'enfermer dans les toilettes à des fins plus ou moins catholiques. Giulia continua de sourire, tout en sentant l'emprise de Melloy sur sa main puis sur sa bouche, loin de s'y opposer, au contraire. Pour une fois qu'elle ne cherchait pas à froisser intentionnellement quelqu'un, clap clap clap.

L'endroit est glauque c'est vrai, mais au moins... commença-t-elle avant de s'arrêter, lançant un regard entendu à Melloy en espérant qu'il avait saisi l'idée. Gardant sa main dans celle du jeune homme, Giulia s'amusa à faire des petits ronds avec son pouce, tandis que le serveur-en-pleine-crise-d'adolescence s'approchait avec les commandes.

Romantique, romantique.. Si tu veux darling, je ne demande qu'à voir, tant qu'on ne se noie pas dans la guimauve... Je pense qu'on s'ennuierait à mourir si jamais on tombe dans le train-train quotidien mais.. cependant.. le temps d'une soirée en ta compagnie... aligna-t-elle rapidement, laissant sa phrase en suspens alors qu'elle arquait un sourcil, pourquoi pas ?

Les verres étaient à présent sous leurs nez, le serveur n'avait pas oublié de lancer ce genre de regard pervers, typique du mec libidineux dont le passe-temps préféré est certainement d'espionner ses jeunes voisins ou le couple de retraités, fervents adeptes du viagra.

Les lèvres étirées en un sourire outrageusement pernicieux et provocateur, la main de Giulia passa lentement de rebord de la table à la cuisse de Melloy, tout en guettant la réaction du serveur. Prenant un air totalement innocent, Giulia sirota tranquillement son premier verre tout en observant son nouveau cobaye. Le serveur, pas Melloy.

Giulia avait beaucoup changé, depuis qu'ils se connaissaient. Bien sûr, lors de leurs premières rencontres, ils devaient tout juste être âgés d'une dizaine d'années, et déjà à cette époque, la soirée se terminait presque sous les draps. D'ailleurs, il ne savait même plus comment tout avait commencé avec elle. Quoi qu'il en soit, à l'époque ce n'était qu'une sorte de pouffe, enchaînant les conquêtes et brisant les coeurs. Oui, une pointure dans son domaine. Melloy avait cette image de Giulia jusqu'à ce qu'il se retrouvent dans les couloirs de Harper. Leur relation avait évolué, et l'attitude de Giulia semblait moins froide, moins provocante, avec le temps. Mais, ce n'était peut-être que l'amour qui le rendait aveugle. Si toutefois, ce qu'il ressentait pour Giulia était de l'amour ?

Ce serveur semblait déjà être devenu la cible du couple et la jeune fille dût s'empêcher de rire en l'aperçevant. Ce dernier ne tarda d'ailleurs pas à revenir avec les deux cocktails, après que Giulia est lâchée une phrase qui semblait chargée de sous-entendus :

- L'endroit est glauque c'est vrai, mais au moins...

Au moins... ils pouvaient se bécoter tranquillement dans les toilettes miteuses de ce bar miteux ? Ils pouvaient boire jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus tenir debout ? Ils pouvaient visiter l'arrière pièce pour dépenser toute leur énergie à crier avec le chanteur ? Ils pouvaient également se divertir avec les jeux illégaux qui se cachait derrière cette porte. Il pourraient également y trouver des drogues, des pillules, et toutes sortes de trucs qui enlèvent toutes chances de traverser un jour les portes du paradis. Cependant, ils permettent de voler vers le septième ciel, ce qui n'est pas si mal, pour quelqu'un de vivant. Le jeune homme ne savait pas ce que Giulia sous-entendait avec cette phrase qu'elle avait laissé en suspens, mais maintenant, Melloy avait une furieuse envie de se rendre derrière cette porte. Il ne l'avait fait qu'une ou deux fois auparavant, et il n'en a plus aucun souvenir tellement il était défoncé en sortant. Il était peut-être temps de retenter l'experience ?

Guilia bafouilla quelque chose sur le romantisme que Melloy eut du mal à déchiffrer. Manifestement, Guilia n'était déjà plus tout à fait sobre.

- Oui, je te parle d'une soirée. Une petite soirée en tête à tête, dans un endroit moins miteux que celui-ci, histoire de... changer un peu d'air.

Les cocktails étaient maintenant devant eux. Et Melloy en but une gorgée, qui correspondait en fait à la moitié du verre. Quitte à être dans un endroit totalement dénué de romantisme, autant sortir d'ici bourré, comme tout bon client du Little Cricket qui se respecte. Après tout, tout ceux qui viennent ici sont là pour faire des choses peu catholiques. Que ce soit une histoire d'alcool, de drogues, ou de jeux illégaux, le résultat est le même. Ce bar grouille de gens plus mal intentionnés les uns que les autres, alors autant se fondre dans le décors.

Giulia glissa alors sa main sur la cuisse de Melloy en remontant tout doucement vers l'entre-jambe. Cependant, on ne pouvait pas vraiment savoir si elle voulait exiter le jeune homme lui-même, ou le vieux serveur avec une tête de pervers qui observait la scène avec attention. Apparement, il était suffisament desespéré pour regarder sans gêne. Et Giulia, de son côté, était suffisament émêchée pour s'amuser avec un vieux sénil. Quoique, après tout, l'alcool n'avait peut-être rien à voir dans l'histoire.
L'idée de participer à ce petit jeu effleura un instant l'esprit de Melloy, mais il avait maintenant d'autre projet pour continuer cette soirée : à savoir visiter la pièce d'à côté.

Il se leva, laissant Giulia dans son petit jeu, et poussa la porte de la seconde pièce avant de se rendre compte que celle-ci était bloqué. Il se retourna vers la jeune fille, qui n'avait pas l'air d'en savoir plus que lui, puis vers le vieux qui mattait quelques secondes plus tôt. Si, du moins, observé une main sur une cuisse est considéré comme du mattage.

- C'est quoi ce plan ? J'entends le groupe gueuler d'ici ! J'peux savoir pourquoi la porte est bloquée ?

Le vieux semblait satisfait de cette situation. Un sourire sadique se dessina sur son visage hideux. Oui, il était plus flippant que jamais. La gueule d'un pervers, à l'état pur.

- Il vous fait... la clé.

Une clé ? Il est vrai que derrière cette porte se passait toutes sortes de choses illégales, et une clé était le minimum pour protéger cette endroit. Mais de toute façon, il suffisait de voir l'état général du bar, pour se rendre compte que ce n'était pas l'endroit favoris des chrétiens.

- Parfait, t'attends quoi pour me la donner ?

Le sourire du serveur s'élargit, ce qui lui donnait maintenant l'apparence d'un mec tout droit sorti d'une étude biologique cherchant à reconsituter le chaînon manquant entre Mickael Jackson et Frankenstein. Oui, rien que ça.

- Si vous la voulez... je veux en voir... plus.

Flippant. Trop flippant. Carrément trop flippant. Melloy avait l'impression d'être devenu l'objet sexuel d'un pervers qui n'avait pas eu de relation depuis une centaine d'années. Pour le coup, la soirée n'avait plus la moindre particule de romantisme. Elle prenait d'ailleurs des allures de films X. Le jeune homme jeta un regard inquiet vers sa petite amie, histoire de savoir ce qu'elle pensait de toute cette situation. Bien que, dans le fond, il n'était pas sur de vraiment vouloir le savoir.

Obsédé, pervers, peu importe, le serveur libidineux était une sourire d'amusement, Giulia le sentait comptait bien en tirer un peu de divertissement. Sa réputation de traînée ne l'avait jamais lâche, et ce n'est pas ce détail qui l'empêcherait de faire tout et n'importe quoi. Elle l'avait cherché, le serveur. Toute personne sensée, même en proie à une terrible pulsion sexuelle soudaine, aurait pu se contrôler et agir discrètement. A priori, l'italienne n'était pas de ceux là.
L'air innocent qu'elle abordait tout en laissant traîner sa main sur la cuisse de Melloy avait quelque chose de comique. On aurait facilement pu se croire dans une pure daube américaine où les filles se trémoussent en maillot de bain devant des gamins boutonneux qui découvraient l'univers des bêtes en rut.
La jeune femme oublia le serveur quelques instants, pour se consacrer entièrement à son copain, tout en terminant son verre en deux gorgées. La conversation sur une soirée romantique avait été lancée. Le romantisme avait toujours fait flipper Giulia, elle voyait déjà les bougies, le vin, les pétales de roses semés partout, une discussion à cœur ouvert sur ce qu'elle ressentait pour le principal concerné et l'organisateur de la soirée. Elle avait ignoré depuis un certain le fait qu'ils étaient cousins, à présent ça ne la dérangeait pas mais, pour en venir à des déclarations d'amouuuuur, il y avait encore du chemin à parcourir. Elle reposa son verre sur la table en face d'elle et fit un clin d'œil à Melloy tout en acquiesçant.

D'accord, ça marche, mais on tâchera de sortir de l'ordinaire alors fit-elle en élevant légèrement la voix pour arriver dans les haut perché avant de s'étrangler à moitié.

Le jeune homme venait de se lever, Giulia quitta une nouvelle fois des yeux le serveur. Non seulement il était d'un ennui mortel mais Melloy avait attiré toute l'attention de l'italienne. Cette dernière était en train de l'observait à la dérobée alors qu'il essayait d'ouvrir la porte. Elle ne tarda pas à se mettre debout, s'arrêtant à ses côtés tandis que le serveur s'approchait du couple. Bonne ou mauvaise nouvelle, ça restait à voir.

L'histoire de la clé eut pour effet d'intriguer Giulia. Arquant un sourcil, la jeune femme le regarda d'un air suspicieux, la dernière déclaration du type en manque la sidérait.

Quelle manque de tact mec ! s'écria-t-elle en secouant la tête, observant le serveur comme s'il était un cas sans espoir. Non mais sérieux, tu veux peut-être qu'on vienne avec toi dans les toilettes et qu'on se fasse un truc à trois ? Portes ouvertes mec, ça doit être vraiment la lose pour toi.

Sur ces sages paroles, Giulia fit semblant de se fourrer deux doigts dans la gorge pour se faire vomir, signalant au type qu'il était, selon l'expression populaire, à gerber. L'italienne était prête à se jeter à son coup, simplement pour le défigurer à vie.

Oh, du calme ma mignonne, on marche au peace and love ici...

La jeune femme, toujours sur le choc, se tourna vers Melloy à la recherche d'un quelconque aide.

Bon écoute, MEC, tu nous files la clé d'abord et on avisera après, avec un peu de chance, tu pourras tirer de nous n'importe quoi, c'est le bon deal, ça doit être ton genre t'abuser de pauvres étudiants hein demanda Giulia qui s'était approché du serveur. Elle tendait à présent la main, dans l'attente d'avoir l'objet convoité.

Oh du calme, ne cherchons pas les embrouilles, le marché est conclu mais je vous assure que... Johnny et Jimmy sauront vous choper à la sortie si vous osez partir sans me.. donner ce qui m'est du...

Oui, et puis tu peux même te mette à quatre pattes et regarder sous la porte des toilettes. Ou non, non, mieux, tu te mets dans la cabine d'à côté et tu grimpes sur la poubelle ! ajouta Giulia avec un grand sourire sarcastique tout en s'emparant de la clé.

Elle fit quelques pas en arrière, s'approchant de Melloy et lui donna le trousseau de clés tout en passant un bras autour de sa taille, soudainement prise par un besoin de proximité avec le jeune homme.

Dans l'objectif de s'emparer de la clé qui pourraient les conduire jusqu'à la deuxième salle de ce bar, Giulia se lança dans un petit combat verbal avec le vieux pervers aux fausses allures de rockeur. D'un point de vue totalement objectif et impartial : Giulia dominait parfaitement. A vrai dire, l'ennemi ne faisait que s'enfoncer, encore et encore, pendant que la jeune fille lui donnait de nouvelles raisons de creuser. Melloy, de son côté, préferait rester à l'écart de ce petit duel. En être le spectateur était sans doute plus prudent, mais aussi plus marrant, que d'être au beau milieu de l'arène. Après tout, sa petite amie se débrouillait tellement bien toute seule.

Pendant que les répliques éffrénées volaient de tout côtés, les autres clients du bar suivaient ce combat avec intêrét, et la plupart prenaient déjà un parti. Les vieux pervers, à l'image du possesseur de la clé, espéraient avoir le droit à un show de la part du couple. Et les autres, ceux qui avaient au moins une ombre de vie sexuelle, était de l'autre côté. Du bon côté. Ainsi, le bar ne tarda pas à se diviser en deux, et la scène devenait... vraiment pathétique.

Quelques minutes plus tard, Giulia s'approcha de Melloy, un trousseau de clés en main. Les vieux pervers grognaient, tandis que les gens apparement plus normaux criaient. Fier de la victoire à laquelle il n'avait pas du tout participer. Quoi qu'il en soit, le jeune homme avait maintenant les clés. L'objet tant convoité qui était la cause de toute cettr agitation. Plusieurs possibilités s'offraient maintenant à lui, mais avec tout ces hurlements, il était difficile de trouver laquelle était la meilleure. Il pouvait respecter le contrat, et se lancer avec sa compagne dans un strip-tease des plus torride. Une solution qui n'effleura qu'un instant l'esprit de Melloy. Un court instant qu'il préférait déjà oublier. Il pouvait aussi sortir du bar en courant, ce qui ne présentait pas le moindre intêrét, maintenant qu'ils avaient ce fichu trousseau de clés en main. Il pouvait également les utiliser pour ouvrir la porte de derrière, l'air de rien. Sans doute la meilleure idee jusqu'à présent, bien elle manquait un peu de logique et de crédibilité. Et enfin la dernière, mais non la moindre, qui surpassaient déjà toutes les autres : profiter de toute cette agitation pour déclencher une bataille générale, et ainsi se faufiler vers l'autre salle.

Oui, cette idée était de loin la meilleure. Ou du moins, c'était la seule qui tenait véritablement la route. La question était maintenant de savoir comment déclencher une bataille générale. Il est vrai qu'elle était déjà sur le point d'éclater, mais il fallait encore faire tomber la goutte d'eau qui ferait déborder le vase. En manque total d'inspiration, Melloy opta pour la solution de base. Il s'approcha du serveur qui espérait encore avoir son petit strip-tease personnel et lui flanqua un coup de poing suffisamment puissant pour faire saigner l'ennemi. Melloy cria interieurement tant la main avec laquelle il venait de frapper le faisait souffir. Il la secoua, souffla même dessus, ce qui était bien sûr totalement inutile. Mais lorsqu'il reprit ses esprit, une bataille avait éclater. Il n'en était pas sûr, mais quelqu'un avait sans doute frappé le pervers rockeur avant que celui-ci ne puisse répondre au coup de poing de Melloy. Et pour le reste... tout le monde avait sauté sur tout le monde.

Profitant de l'abscence d'un quelconque serveur ou barman, Melloy se servit une bière, qu'il n'avait bien sûr pas l'intention de payer. Il balaya la salle des yeux, à la recherche de Giulia qu'il trouva assise sur la banquette à laquelle ils s'étaient installés en arrivant. Elle finissait son cocktail, tout en s'amusant de la scène. Le jeune homme s'approcha, en prenant soin de ne pas se faire entraîner dans la bataille, et prit place près de la jeune fille. En signe de victoire, il lui agita le trousseau de clés sous le nez.

- Alors, on y va dans cette fameuse salle ?

En quelques minutes le Little Cricket, bar glauque et miteux, s'était transformé en une remake de l'apocalypse selon Saint-Melloy. D'accord, peut-être que la scène n'était pas digne de la bible, mais au moins, elle avait sa place dans un teen-movie ou une série B. Il ne manquait plus que le pop-corn et la main baladeuse de votre voisin de siège. L'italienne était toujours à la même place, observant Melloy réfléchir. Enfin, il avait l'air de réfléchir, mais Giulia n'avait pas pensé une seule seconde que le jeune homme allait envoyer son poing dans la figure du serveur. Wow, quelle violence. Si le nez du serveur et les doigts de Melloy n'étaient pas cassés, Giulia était prête à faire un pèlerinage jusqu'au Tibet. En avion, bien entendu, et si possibilité d'avoir un hôtel cinq étoiles avec jacuzzi, elle ne dirait certainement pas non.

Fatiguée d'être debout, nouvelle paire de chaussures oblige, la jeune femme ne tarda pas à se retrouver sur la banquette où elle était encore assise avant que le type libidineux et sexuellement en manque vienne leur demander un coup de main. De sa place, elle pouvait voir tout un attroupement, remuant jambes et bras.

Ô joie, ô extase murmura-t-elle en plissant les yeux tout en essayant de suivre du regard les péripéties du serveur. Ses deux délicates mains entourèrent bientôt son deuxième verre, ou son troisième peut-être, alors qu'elle le vidait assez rapidement. Elle croisa alors ses jambes, plissant une nouvelle fois sa jupe, assez courte en jean et effilochée.
D'accord, ce qu'il se passait dans ce bar était captivant mais son air impassible semblait dire le contraire. Elle se leva rapidement et se dirigea vers la table d'à côté afin d'y prendre une bouteille de bière à moitié pleine, délaissée par son crétin de propriétaire. Elle se réinstalla à sa place, très vite rejointe par Melloy. A croire que ces deux gamins là avaient tendance à s'ennuyer vite. Soit.

Le jeune homme secouait à présent le trousseau de clés devant Giulia, un sourire malicieux s'afficha de suite sur ses lèvres. Oh, le coup de poing, une simple distraction pour pouvoir s'éclipser ni vu ni connu. L'italienne était prête à applaudir, mais elle se contenta de boire une gorgée de bière avant de laisser son contenant en suspension dans l'air. Elle hocha alors la tête, telle la gamine avide qui voudrait aller à Disney Land.

Ce n'était même pas la peine de poser la question, la réponse était évidente rétorqua-t-elle, toujours souriante, en se levant du siège et en embarquant Melloy à sa suite. Après une dizaine d'essais avec des clés différentes, la porte s'ouvrit finalement. Ce qu'il y avait derrière n'avait rien du chateau de Cendrillon, non, vraiment. L'arrière bar était encore plus glauque que la salle principale. L'odeur de la débauche (parce que oui, la débauche a une odeur) flottait dans la pièce. Dans un coin, un couple de punks, à en juger par leurs chaussures et leurs cheveux, était en train de se livrer aux joies de l'exhibitionnisme.

Tout d'un coup, un gnome aux cheveux noirs fit son entrée dans le champs de vision des deux étudiants. Dans ses bras, il avait trois cartons et une espèce de balle verte. Son regard croisa celui de Giulia et le gnome vint à la rencontre du couple. Avec un accent irlandais, il leur expliqua les régles du jeu.

Trois boîtes, une balle, toi, et toi, devez trouver la balle, pigé ?

L'italienne le fixa d'un air suspicieux, ça sentait l'embrouille à deux kilomètres à la ronde. Heureusement, une blondinette à l'air éméché fit son apparition, souhaitant jouer et miser trente pounds. Le visage du gnome s'éclaira, fier d'avoir une nouvelle victime. Il posa alors les cartons par terre, et s'assit en tailleur sur le sol, sous le regard interloqué des deux étudiants. Le gnome posa la balle et la recouvrit d'un des cartons, il commença alors à les bouger de place d'un geste rapide, ultra concentré.

Whitechapel, Black Town, Wild turkey, Whitechapel, Black Town, Wild turkey, Whitechapel, Black Town, Wild turkey, Whitechapel, Black Town, Wild turkey s'époumona-t-il jusqu'à être satisfait du résultat et du méli-mélo. Alors ma poule, Whitechapel, Black Town ou Wild turkey ?

Giulia détourna la tête, à la recherche d'un coin tranquille, ou plutôt des toilettes. A y regarder de plus près, la plupart des clients de l'arrière salle ne semblait pas totalement sobres ou clean. L'italienne but une gorgée de bière, qu'elle avait gardé, faut pas déconner. Rien de plus sexy que la bière d'ailleurs. Elle n'était pas spécialement friande de cette boisson, mais à défaut d'autre chose.. La jeune femme se retourna vers Melloy, à quelques centimètres d'elle, beaucoup plus petite que lui, et leva la tête vers lui. Manière de demander ce qu'ils pouvaient bien faire à présent.

L'arrière salle ressemblait à ce que Melloy avait imaginé dans sa tête. En plus sale, et plus glauque. Quelques éléments du décors lui rappelaient de vague souvenirs. Comme les canapés noirs à moitié arrachés ou les tableaux de couples nus, en plein acte, accrochés un peu partout sur les murs. La salle était assez grande, bien plus que celle dans laquelle se déroulait maintenant une bataille n'ayant plus la moindre raison d'être, et tout les pêchés semblaient y être réuni. Un lieu de débauche, à l'état pur. La plupart des canapés étaient occupés par des couples consommant ouvertement leur amour, sans la moindre pudeur. Les couples n'étaient d'ailleurs pas toujours au nombre de deux, comme ce trio au fond, qui avait parfaitement sa place dans les plages nudistes. Quelques rideaux étaient grossièrement amménagés, sans doute pour éviter que ce lieu ne ressemble à une gigantesque orgie. Seulement, beaucoup avaient oublié de le fermer. Non loin des exhibitionnistes se trouvaient les junkies, qui mélangeaient sans compter alcools et drogues. La fumée était tellement épaisse dans cette partie de la salle que de là où il était, Melloy ne pouvait pas y voir grand chose. Près de l'entrée se trouvait la fameuse scène de concert, qui faisait tant de bruit dans la salle d'à côté. Maintenant, la musique était deux fois plus forte et il était difficile de se faire entendre sans hurler. Enfin, près de cette scène, se cachait les toilettes, sale et délabrée au possible, à tel point qu'il n'y aucunes portes. Toute cette débauche avait, par chance, une odeur de tabac. Cette odeur en recouvrait sans doute d'autres bien moins agréables.

Dès leur arrivée, un gnome leur proposa de jouer avant qu'une blonde tout aussi bourrée que les autres, ne viennent parier trente pounds, rien que ça. Melloy vida les trois quarts de sa bière, et le quart restant quelques secondes plus tard. De toute façon, il était difficile de rester sobre dans un endroit comme celui-ci.

- Besoin d'aide, les enfants ?

Un petit roux barbu s'approcha du couple. Des tatouages de la tête au pied, il tendit la main vers Melloy qui dût presque se rétrécir pour pouvoir la serrer. L'inconnu, qui n'était peut-être pas si inconnu que ça, sembla refléchir un instant avant de reprendre la parole :

- Tiens, j'te connais toi. T'es sorti trop défoncé pour te souvenir de moi ? Bah... tu seras ni le premier ni le dernier.

C'est vrai, le visage de ce nain lui semblait familier. Comme beaucoup d'autres choses ici, d'ailleurs. Il était étrange que Melloy ne se souvienne presque pas de toutes ces petites escapades en ce lieu de débauche. Peu importe à quel point il avait pu en sortir bourré ou défoncé.

- Moi, c'est Tolbiak, propriétaire du petit coin de paradis dans lequel vous venez d'entrer. Je ne sais pas comment d'ailleurs, on avez tout fermé à clé. Trop de clients, on s'en sort plus, vous voyez. Enfin, vous êtes plutôt branchés quoi, vous ? Sexe, drogue, alcool, concert ? Peut-être les quatres à la fois ? A moins que vous êtes là pour vous faire du fric ? Si c'est ça, vous devriez jeter un coup d'oeil à la porte d'à côté. Moins crade qu'ici, mais plus dangereux, si vous voulez mon avis.

Melloy fronça les sourcils avant de jeter un coup d'oeil inquiet à Guilia. Tolbiak ressemblait finalement à toutes ces personnes de petites tailles qui parlaient pendant des heures de tout et de rien avec leurs voix trop aigu pour être supportable. Il fallait juste ajouter à cela les tatouage, et remplacer la voix aigu insupportable par une voix grave qui était finalement assez chaleureuse.

- Faites pas cette tête là, j'vais pas vous bouffer. Au fait, c'est vous qu'avez foutu le bordel à côté ? Parce qu'ici, on est plutôt peace and love, si vous voyez ce que je veux dire. Alors, si vous voulez pas dégager d'ici, éviter ce genre de folie. Aussi excité, bourré, ou défoncé que vous soyez, bien sûr. Maintenant, suivez-moi, j'vais vous faire la visite.

Le couple s'exécuta et se retrouva bientôt devant un comptoir, aussi miteux que l'autre, si ce n'est plus. Tolbiak plongea sous celui-ci, et en sortit différentes bouteilles d'alcools poussièreuses, qu'il mélangea dans deux grands verres.

- Chez nous, y'a que des alcools à plus de soixante pour cent ! V'la un coktail, histoire de vous mettre dans l'ambiance.

Il fit une pause et attendit que le couple goûtent ce fameux mélange d'alcools tous plus forts les uns que les autres. Il les observa ensuite, tour à tour, avant de leur adresser un sourire qui semblait à la fois malicieux et machiavélique.

- Maintenant... ça vous tente de planer un peu ?

Cette arrière salle réunissait ainsi tous les vices que le terre pouvait comporter : sexe, drogues, alcool, jeux d'argent. Obsédés, exhibitionnistes, junkies, alcooliques, gnomes. Partout, partout, partout. Whitechapel, Black Town, Wild Turkey. Il y avait de quoi devenir fou, perdre la tête. Le royaume des cinglés, c'était le cas de le dire. Giulia ne savait même plus où regarder, si ce n'est vers Melloy qui semblait tout interloqué qu'elle. Que ce soit le gnome à crête noir, ou bien le nain roux, ils pouvaient tous être qualifiés de personnes louches, adapté en chelou dans les hauts lieux d'Harlem.

Ce qu'on ne pouvait pas reprocher au dit Tolbiak, c'était son manque d'hospitalité. En revanche, sa parlote et son blablatage incessant avaient le don de mettre Giulia sur les nerfs, même si le type en question venait de leur proposer un cocktail maison. Ils ne pouvaient pas dire non c'était évident, et ils se retrouvèrent ainsi rapidement au bar, regardant Tolbiak le Roux préparer son mélange.. explosif, oui c'était le cas de le dire. L'italienne en but une gorgée et manqua de s'étouffer, pas à cause de la proposition intéressante du barman mais à cause du breuvage. Il fallait le faire, elle qui ne sentait même plus l'alcool habituellement, elle était à présent en train de se pincer le nez en cherchant dans son sac un mouchoir. Sa gorge la brûlait et une minime partie du cocktail ingéré venait de ressortir, on ne sait comment, par les voies nasales.

Arrrrgh laissa-t-elle échapper, pas sûre de vouloir boire le reste du verre et « de se mettre dans l’ambiance », préférant s’intéresser à la proposition du nain roux. Planer hein. Giulia n’était nullement une junkie, il faut le préciser, elle ne se considérait pas comme tel. Même cet air vraiment intéressé ne lui suffisait pas comme preuve. Avide de savoir ce que Tolbiak avait sous la main, l’italienne mit quelques secondes pour regrouper ses pensées et formuler une question. Simple, directe, concise, avec le moins de mots possible et sans avoir à faire le moindre effort.

Et tu nous proposes quoi ? s’enquit-elle, les yeux presque brillants à l’idée de pouvoir ressortir du Little Cricket totalement métamorphosée grâce à une consommation plus ou moins excessive de substances illicites. Son locuteur sonda tour à tour Melloy et Giulia, se demandant certainement si c’était une bonne idée d’entraîner ces deux jeunes enfants dans les ténèbres de la débauche et de la défonce. Il se résigna finalement et se pencha au dessus du bar, avec quelques difficultés.

Vous voulez planer hein, je vous aurai bien proposé un peu d’herbe mais on est en pleine pénurie là. Pareil pour l’héro, ça n’arrive plus de Londres, on essaye d’en choper à Edimbourg mais c’est chaud.

Le nain vert, ou à la veste verte du moins, se redressa afin de remplir le verre de Melloy, tout en discutant à bavasser sur l’impossibilité de trouver de l’héroïne sur l’île britannique. De son côté, Giulia continuait d’observer les lieux, presque dégoûtée à vie. Non, traumatisée.

… Non mais, mec, tu te rends compte que même à Paris, Paris bordel, ils n’ont plus rien ! C’est la première fois depuis deux ans, certains sont devenus complètement dingues, comme mon pote, on l’appelait Vee dans le milieu, deux mois après la première pénurie, on l’a jamais revu. Sauf sa mère, parait qu’elle l’a enfermé dans la cave. Ou sinon il y av-

Et donc, tu as quoi sous la main mec ? le coupa Giulia, fatiguée d’entendre les derniers potins sur les junkies de la région. L’italienne estimait qu’elle n’avait pas besoin de faire dans la politesse. On était au Little Cricket quoi. Tolbiak la dévisagea quelques secondes avant d’ouvrir la bouche.

Un peu de coke et ecsta si ça vous intéresse les enfants. Je ne vous recommande pas les deux en même temps hein, vous êtes assez grands pour savoir que crever après une overdose..

C’est trop la lose, ouais termina Giulia, en même temps que sa bière, avec un léger sourire. L'italienne sonda Melloy du regard, soucieuse de faire le bon choix. D'un geste furtif, elle glissa sa main dans son sac et en sortit un billet de vingt pounds qu'elle posa sur le comptoir, juste sous le nez de Tolbiak.

Ca devrait faire l'affaire pour un peu de poudre ma jolie, suivez-moi, je vais vous emmener au paradis artificiel..

Après ces paroles très inspirées, le nain vert descendit de son tabouret et passa devant Melloy et Giulia rapidement, afin de les conduire dans un des coins de la salle.

Le cocktail détonnant concocté par Tolbiak ne faisait manifestement pas l'unanimité, d'après le « Arrrrgh » de dégoût qui s'était échappé de la bouche de Giulia. Après cela, Melloy n'étais pas sûr de vouloir tenter l'expérience à son tour. Il se risqua tout de même à boire une petite gorgée, qui ne fût malheureusement pas assez petite puisque le jeune homme ne tarda pas à sentir une désagréable brûlure au niveau de la gorge. Au risque de ne pas se mettre dans l'ambiance, il reposa le verre là où il l'avait trouvé. Se jurant de ne plus jamais tremper les lèvres dans ce breuvage qui ressemblait sans doute à celui du diable. En plus corsé. Tout simplement inbuvable, en résumé.

Le nain se lança alors dans un nouveau monologue, racontant la difficulté pour lui de se procurer des drogues. Une charmante petite histoire qui fût interrompue par l'impatience de Giulia. Elle était manifestement très intéressée par cette proposition que leur avait faite le nain quelques secondes plus tôt, à savoir celle de « planer ». Melloy devait avouer que, lui non plus, n'avait rien contre. Maintenant qu'il était arrivé ici, il était certain qu'il en sortirait suffisament défoncé pour ne plus avoir le moindre souvenir de son petit séjour dans l'arrière-salle du Little Cricket. Et comme le soulignait si bien ce nain portant une horrible veste verte, ça ne sera ni la première, ni la dernière fois.

Quelques échanges de mots, et un billet glissé sur le comptoir plus tard, le couple suivait maintenant Tolbiak vers un coin de la salle, prêt à s'adonner aux joies de la défonce. Sur le chemin, il virent des choses suffisament « hard » pour en être traumatisé durant de longues années. Pour ne pas dire toute la vie. Des choses qui auraient le droit à une censure pour les moins de seize ans, voire dix-huit ans, si on ajoutait à cela les scènes pornographiques qui se déroulaient, par chance, plus loin. Melloy, qui pensait avoir tout vu, constata qu'il avait eu tort. Et il réalisa bien vite qu'oublier ses séjours aux Little Cricket n'était finalement pas une si mauvaise chose.

- Là, c'est parfait !

Les junkies en herbes se trouvaient maintenant à l'endroit qui était invisible de loin, tant la fumée était épaisse. Il nageaient maintenant dans celle-ci, et l'odeur du tabac était plus forte que jamais. Le nain vert sortit un sachet à moitié rempli de poudre blanche de sa poche et le vida sur un bout de verre qui traînait pas terre. Dans le genre débauche, les étudiants commençaient dangeureusement à toucher le fond.

- Permettez que j'en prenne un peu. J'dois dire que ça me donne pas mal envie là. Vous allez quand même pas faire les radins, j'en ai bien assez pour trois !

Oui, en fait, il en avait bien assez pour six. Face à cette poudre, Melloy ressentait maintenant une sorte d'apréhension, bien qu'il ne s'agissait sans doute pas de la première fois qu'il absorbait ce genre de substances illicites. Il était déjà venu ici auparavant, et ce n'était certainnement pas pour boire un grand verre de jus d'orange pleins de vitamines. Malgré tout, il n'en avait pas le moindre souvenir, et tout cela restait encore inconnu, même si ce n'était maintenant plus qu'une question de temps. Dans un moment de folie, ou disons plutôt d'absence de lucidité, Melloy eût l'envie soudaine de tenter l'experience. Une envie qu'il devait satisfaire, et maintenant. Il arracha des mains du nain vert un bout de papier qu'il venait de sortir de sa poche, et s'en servit pour écarter une partie de la poudre qui ne représentait alors qu'un tas grossièrement étalé sur le bout de verre.

- Oh oh, je vois que monsieur est impatient !

Sans se soucier de la remarque du nain, Melloy dessina un rail à l'aide de son bout de papier et s'approcha pour l'absorber d'une traite. Il releva la tête et renifla lentement, avant de sourire avec béatitude. Un sourire qui représentait avec fidélité l'état dans lequel il se sentait maintenant. Il prit alors la main de Giulia dans la sienne, et y glissa le bout de papier qu'il avait arracher à Tolbiak quelques secondes plus tôt. Tout en gardant le même sourire béa, il fixa sa petite amie dans les yeux, avant de lui murmurer à l'oreille :

- A ton tour, chérie.

Difficile de distinguer quoi que ce soit dans cette atmosphère enfumée, et pourtant, le trio pro-cocaïne avait réussi à se frayer un chemin et arriver un bon port. Giulia lança un regard dédaigneux vers le nain vert, ne comprenant pas pourquoi il tenait tant à tenir la chandelle. L'explication ne tarda pas à arriver : s'il faisait don de sa présence, c'était simplement pour se faire payer un peu de poudre. Plissant les yeux alors qu'il en versait un peu sur une surface plane en verre, l'italienne pensait qu'elle n'avait plus aucune raison d'être sympathique avec lui, encore moins de lui parler. Et elle s'apprêtait à faire une totale abstraction de sa présence, sauf que Tolbiak en avait décidé autrement et continuait toujours de parler, s'extasiant à propos de Melloy et de son envie pressante de consommer.
La jeune femme le regarda faire, gardant un léger sourire et pressentant que la suite de la soirée pourrait s'avérer assez.. intéressante. Ils savent très bien de quoi ils sont capables en étant défoncés. Du moins Giulia.

A ton tour, chérie.

L'italienne fut très vite interrompue dans ses pensées, d'abord par la pression de la main de Melloy sur la sienne et ensuite par ce sentiment d'être fixé. Par la même personne, c'est à dire, par déduction, Melloy, bravo. Bout de papier en main, Giulia préféra le rouler sur lui même après avoir formé un ligne de poudre, préférant l'aspect pratique à l'aspect esthétique. D'accord, ça lui donnait l'image de la gamine-true-rebelz-qui-se-défonce-à-la-coke-parce-que-c'est-trop-hype mais qu'importe, au moins elle n'était pas toute seule.
La jeune femme redressa la tête en passant une main sous son nez, elle avait toujours eu peur de saigner, et puis même, les traces blanches aux niveaux des narines, c'était suspect. D'après son expérience, l'euphorie arriverait d'ici deux ou trois minutes, pas avant.

Tu nous laisses le reste mec hein s'enquit-elle auprès du nain vert, occupé à diviser la poudre en six rails. Giulia arqua un sourcil avant de lui reprendre le bout de papier, bien décidé à le faire partir et profiter de sa soirée avec Melloy. Meeeerci, je crois qu'on a plus besoin de toi maintenant, Tolbiak c'est ça ? Allez, je suis sûre et certaine que la blondinette là bas cherche quelqu'un à se serrer.

Tolbiak attendit une quelconque remarque défensive venant de Melloy, solidarité masculine, mais rien ne vint. Peine perdue pour lui, il se vit obligé de détaler sous le regard pernicieux de la jeune femme qui s'emparait déjà du papier roulé pour se refaire une ligne, ne sentant pas encore les effets de la première. Quelques secondes après, elle s'enfonça dans le sofa le plus proche, entraînant son petit ami avec elle.
D'un geste rapide, elle fourra de nouveau la main dans son sac et chercha à tâtons son paquet de cigarettes. Qu'elle ne trouva pas, avec le vague souvenir de l'avoir laissé sur la table qu'ils avaient occupé une dizaine de minutes avant, de l'autre côté du bar.
Giulia coula un regard vers Melloy, oubliant totalement son envie de fumer, alors qu'un sourire malicieux et presque pervers s'affichait sur son doux visage, à croire que c'était typique de la défonce.
La jeune femme ne tarda pas à s'approcher un peu plus de Melloy, s'installant à cheval sur ses genoux. La scène aurait pu paraître obscène si, derrière, il n'y avait pas eu deux couples visiblement échangistes.

Alors, darling, tu veux faire quoi ? demanda-t-elle, d'une voix étonnamment calme et suave pour une fille que l'euphorie venait de gagner. Son regard fut attiré par un type totalement nu qui s'approchait d'eux. Giulia eut un léger mouvement de recul, tout en se cramponnant à son copain.

On cherche des volontaires pour une partie à plusieurs, ça vous tente ?

Hahahahahaha. L'italienne se mit à pouffer sans vraiment pouvoir s'arrêter. C'était tellement glauque comme invitation qu'elle était à deux doigts d'aller se faire vomir dans les toilettes. Le type, qui s'exhibait devant eux, les regardait le plus sérieusement du monde, attendant une réponse.
D'ailleurs, cette proposition rappelait de vagues souvenirs à Giulia, un petit séjour à Tijuana quelques mois auparavant peut-être, ce fut la débauche, la vraie. Avec Stewarts dans les parages, c'était dur de ne pas foncer dedans de toute manière.

Euh, on tient à notre intimité en fait, vous savez, nouveau couple et tout, et tout hein répondit Giulia d'une voix hésitante, pas vraiment sûre de vouloir partager Melloy et surtout de SE faire partager. Brusquement, elle se leva, persuadée qu'il valait mieux s'éloigner plutôt que de subir les avances d'un type en tenue d'Adam.

Tandis que Melloy sentait déjà l'euphorie le gagner, Giulia absorbait à son tour cette magnifique poudre blanche sous les yeux intéréssés du nain vert, qui était maintenant de trop. La jeune fille ne tarda pas à l'écarter, quoi que le mot dégager serait peut-être plus juste. Face à la situation, et l'absence totale de solidarité masculine, le rouquin n'eût pas d'autre choix que de partir d'ici, sans même demander son reste. Pas très tenace, pour un gérant d'un bar aussi crade qu'illégal. Aussi petit et moche soit-il. La jeune fille ne tarda pas à s'affaler sur le sofa le plus proche, entraînant son petit ami avec lui. Le sourire collé au visage, le couple avait maintenant toutes les caractéristiques d'une personne défoncé. Si toutefois, on considéré que les personnes défoncés pouvaient avoir des caractéristiques précises. Se sentant déjà planer, Melloy avait la furieuse envie de sortir d'ici, de prendre l'air et de se changer les idées. Une envie qui s'amplifia d'autant plus quand un type totalement nu leur proposa un plan à plusieurs. Le pire, c'est qu'il ne paraissait même pas bourré, ni défoncé. Au grand plaisir de Melloy, Giulia repoussa immédiatement ses avances, avant de se lever et de faire comprendre au jeune homme qu'elle préférait s'éloigner d'ici. Oui, non seulement ils allaient s'éloigner d'ici, mais ils allaient également sortir de ce bar miteux, avant d'être victime d'autres propositions, plus obscènes les uns que les autres. Après tout, ils n'avaient plus rien à faire ici. Ils avaient déjà eu ce qu'ils voulaient.

- Viens chérie, on se casse d'ici.

Le jeune homme attrapa la main de sa petite amie et l'entraîna vers la sortie, convaincu qu'elle non plus n'avait pas l'intention de rester ici plus longtemps. En ouvrant la porte, il constata que la bataille générale qu'il avait déclenché quelques minutes plus tôt était maintenant terminée. Certains blessés étaient restés à terre, en parti recouvert de sang. D'autres étaient sortis de cette affrontement intact et sirotaient de nouveau leurs bières. Le nombre de clients avait été divisé par deux, si ce n'est plus. Force était de constater que la bataille avait été rude, et que les vainqueurs avait tous des années de gonflette derrière eux. Après tout, il s'agissait du Little Cricket, l'endroit favoris des gros bras. Melloy plongea la main dans sa poche droite, et constata qu'il avait toujours le trousseau de clés qui était la cause de toute cette agitation. Il voulut le balancer dans la gueule du pervers qui leur avait demandé un strip-tease et qui était maintenant à terre, le visage recouvert de sang, mais preféra le gardait pour lui. Juste au cas où l'envie de retourner voir le nain vert lui traversait l'esprit. C'est vrai, il se sentait si bien. Il n'y avait pas de mal à vouloir retenter l'expérience, dans un futur plus ou moins proche. Il tourna la tête vers Giulia qui riait face à ce spectacle. Melloy ne pût s'empêcher de faire la même chose, sans vraiment pouvoir s'arrêter. Il s'avança lentement vers la sortie, la vraie. La porte qui passait du Little Cricket au monde extérieur. Un monde plus beau, plus propre, et moins obscène. Du moins, normalement. Alors que le couple était à quelques pas de la porte, de nombreuses têtes se retournèrent vers eux. Sans doute avaient-ils gardé une légère amertume, après la bataille générale que le couple avait déclencher. Melloy était coupable, et il comprenait parfaitement toute cette haine, mais il n'était pas pour autant prêt à en faire les frais. Aussi, il ne trouva rien de mieux que de courir, entraînant sa petite amie avec lui, sans s'arrêter de sourire.

Ils courrurent ainsi, main dans la main, sourire euphorique littéralement scotché à leur visage, jusqu'à se cogner contre un mec que l'on qualifierait facilement de louche, avec ses habits déchirés et sa crête d'iroquois longue d'une trentaine de centimètres. Face à ce choc, Melloy poussa un léger grognement avant de se toucher le front, surement pour vérifier qu'il ne saignait pas, lui-même n'en était pas tout à fait sûr. Il ne pût s'empêcher de sourire, encore plus, lorsqu'il vit la tête du type qu'il venait de bousculer. Sans vraiment se rendre compte de ce qu'il disait, il prit la parole d'une voix... disons euphorique.

- Déliiire, j'peux toucher ? Sérieux, tu dois galérer pour te coiffer ! T'utilise quoi ? Du gel vivelle dop fixation béton ?

L'iroquois fixa Melloy avec des yeux qui semblaient être rempli de colère. Très vite, de mauvaises vibrations se mirent à danser autour de l'inconnu. Fini de plaisanter. Ce dernier était prêt à attaquer, ou à mordre si il le fallait. Il observa le couple, de haut en bas, et adopta une voix censée être intimidente.

- Filez-moi votre blé. Maintenant.

Melloy, continuant dans la lancée du mec défoncé qui ne savait plus ce qu'il disait, enchaîna sur une nouvelle blague, sans se rendre compte bien sûr que cela était totalement déplacé dans une situation comme celle-ci.

- Et sinon quoi ? Tu défonces tout avec ta coupe en acier ?

Voyant que l'iroquois n'était pas sensible à l'humour du jeune homme, ce dernier tenta de réctifier le tir... à la façon d'un mec totalement défoncé, bien entendu.

- Keep cool, man ! J'voulais pas te froisser ! Tiens, j'te file ma boîte de Tic-Tac et on est quitte, ok ?

Inutile de préciser que Melloy n'avait pas la moindre boîte de Tic-Tac sur lui, et que cela n'avait de toute façon aucune importance puisque l'inconnu remontait déjà les manches pour en venir au poings. L'étudiant voulût intervenir une nouvelle fois, mais il jugea finalement plus intelligent de ne pas s'enfoncer davantage. En dernier recours, il se tourna vers Giulia, dans l'espoir qu'elle avait l'esprit assez clair pour sortir le couple de cette délicate situation qui devenait, précisons-le, vraiment fâcheuse.